mardi 11 février 2014

LE DERNIER LIVRE NOIR



Indignons-nous !

Cet automne une lecture nous a enthousiasmé par sa fraîcheur et par sa vérité. Fraîcheur d'un style d'écriture qui parle aux jeunes lecteurs, avec des chapitres courts, de l'émotion, du rire. Vérité d'une histoire suscitant la réflexion et nous incitant à l'éveil permanent de nos consciences face à toute idéologie. Ce livre est "Le dernier chat noir", de l'écrivain grec Eugène Trivizas (traduit par Michèle Justrabo, Editions du Jasmin).
En le lisant, nous avons repensé à "Matin brun" ( Franck Pavloff, Cheyne), cette autre parabole dénonçant l'indifférence face à la discrimination et à la violence.  Cela commence toujours de la même façon. Ici des chats disparaissent, mais après tout, ce sont uniquement des chats noirs et ces chats là portent la poisse. On n'y fait pas attention parce que cela ne nous touche pas directement, c'est marginal. Mais l'ignorance nourrit les idées reçues, quand elle ne sert pas  les intérêts de manipulateurs habiles.
Une fable bien menée, pour toucher les émotions et l'intelligence des enfants.
Et puis, il y a deux jours, on apprend que c'est un livre qu'on voudrait faire disparaître des bibliothèques pour la jeunesse. Un livre, ce n'est pas grand chose. A` bien y regarder, il a un titre un peu provocateur - "Tous à poil" - et on y voit des gens se mettre tout nus ! Après tout, si des enfants n'ont jamais parus gênés de le lire, il y a peut-être des adultes qui s'en sentent offusqués.
Le livre fait partie d'une liste proposée aux instituteurs comme support pédagogique. En y réfléchissant, il faudrait d'ailleurs se demander s'il ne vaudrait pas mieux sortir des bibliothèques tous les titres de cette liste. Il est vrai que dans "Emile est invisible" aussi un petit garçon se met nu, et dans "Zizi et zézettes" on ne parle que de ça ! Décidément, où va la pudeur ?
Et vu qu'il est souhaitable de ne plus parler ni de zizi, ni de zézettes, on sera bien avisé d'examiner de près tous les livres où le genre sexuel des personnages est abordé de manière équivoque : princesses préférant des amitiés féminines au mariage avec un prince bien né ("la princesse qui n'aimait pas les princes"), filles casse-cou fières de leur zéz ... -oups, il ne faut pas dire de gros mots !- ("Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ?"), pingouins du même sexe élevant ensemble un jeune congénère ("Tango a deux papas"), ...
Du coup, on se dit que cela commence à faire un certain nombre de livres. On regarde les étagères de notre librairie et on commence à s'interroger : qu'adviendra-t-il des livres qui parlent de la mort ? Car, au fond, il s'agit là d'une chose bien trop triste pour en faire un livre pour les enfants. Et que dire des livres qui parlent philosophie ? Ne vaudrait-il pas mieux apprendre à nos jeunes un peu de morale et ne pas leur transmettre des idées confuses qu'ils ne peuvent pas comprendre ?
Quant aux illustrations, après les nudités de Marc Daniaux, il serait peut-être judicieux de bannir les "porcelet tout nu" d'Elzbieta, les "Monstres malades" d'Emmanuelle Houdart, les "Julie qui avait une ombre de garçon" d'Anne Bozellec . En fait, il faudrait carrément supprimer les illustrations, histoire de se protéger de tout dérapage.
Et puis, non, ce ne serait sans doute pas suffisant, ayons le courage d'aller au bout de notre raisonnement, supprimons la littérature jeunesse. Ne permettons plus que dans les bibliothèques jeunesse il y ait d'autres livres que les méthodes d'apprentissage pour la lecture. Il faut bien promouvoir et soutenir les apprentissages fondamentaux !

Mais cela n'arrivera jamais, dira-t-on !
Est-ce si sûr ?
Aujourd'hui, des hommes politiques et des lobbies s'adressent à des gouvernants pour qu'ils retirent des ouvrages des bibliothèques. Cela rappelle des époques de triste mémoire.
Ces livres mis à l'index ont été publiés sous le label "jeunesse" en vertu d'une loi datant de 1949 censée protéger le jeune lectorat en lui proposant des ouvrages adaptés. Verra-t-on rétablir une véritable censure  
en fonction de valeurs morales et esthétiques définies par des groupes de pression politiques ?

Dans nos librairies nous défendons une littérature de qualité, par la tenue des textes et par la créativité de l'illustration. En tant que libraire, nous sommes fiers de la variété des livres que nous proposons, qui se manifeste autant par la richesse des thématiques abordées que par la diversité de points de vue et de modes d'expressions. Nous avons un rôle de passeurs envers les jeunes génération, ce qui implique la responsabilité de défendre cette richesse et de la valoriser auprès  du public. Ceci afin que les enfants d'aujourd'hui soient des lecteurs - et des citoyens- critiques et responsables demain.

Alors, aujourd'hui faisons en sorte qu'aucun livre ne soit mis à l'index au motif  qu'il dérange la sensibilité de nos hommes politiques !

Silvia et Laurence

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