Entretien avec Gaia Guarino réalisé par Silvia Galli
Gaia Guarino, jeune illustratrice de Louise de New York (éditions Courtes et Longues, 2013),
a reçu le prix du 1er album 2014 décerné par les librairies Sorcières.
Pas encore tout à fait remise de ses émotions, elle vient de confirmer son talent et son originalité dans un deuxième volet des aventures de Louise, Louise de New
York l’actrichanteuse. Italienne, elle vit et travaille dans une petite ville dans la région de Naples. Elle rejoint ainsi nombre d’illustrateurs et auteurs de son pays ayant trouvé une reconnaissance auprès d’éditeurs français. Elle nous raconte ici son parcours.
Je suis très contente de te rencontrer, Gaia. L’album Louise de New York est un de mes
préférés parmi ceux qui ont concouru au Prix du 1er album.
Merci ! Je n’aurais jamais cru que cet album soit sélectionné pour un prix, car c’est justement,
à 34 ans, ma 1ère publication. Me voir primée dès cette 1ère
œuvre signifie vraiment beaucoup pour moi.
Comment est né ton intérêt pour la littérature jeunesse et quelle est ta formation
d’illustratrice ?
Pendant que je fréquentais une faculté de langues, je me suis inscrite également à l’école
internationale des « fumetti » (B.D.) et des « comics » de Rome. Très vite je me suis tournée
complètement vers une formation artistique à l’Ecole des Beaux Arts où je me suis spécialisée
dans la scénographie et les arts graphiques appliqués à l’édition. La rencontre avec une
illustratrice à l’école internationale de comics et l’étude de la couleur et de ses propriétés
m’ont ouvert un monde nouveau. C’était un espace bien plus vaste que celui du dessin B.D.
C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de me consacrer plutôt à l’illustration de livres
pour la jeunesse.
Tout de suite après j’ai suivi un cours avec l’illustrateur Jindra Capek, à Sarmede, dans la
région de Venise, où il y a une école d’illustration qui propose des stages intensifs avec des
professionnels du monde entier. J’ai pu étudier le travail de grands noms de ce métier, comme
Stepan Zavrel , qui a été le fondateur de l’école, ou Emanuele Luzzati. C’est là que j’ai
vraiment pris conscience de ce qui correspondait le plus à la manière dont je voulais dessiner.
Du reste, c’est vraiment à partir d’artistes comme Luzzati et Zavrel qu’en Italie s’est répandu
un certain usage de la couleur et des textures (1).
J’ai travaillé vraiment beaucoup à l’aquarelle et c’est ce qui m’a bien appris à utiliser la
couleur. Mais j’aime aussi utiliser des textures. Je m’en sers pour remplir des espaces, en
particulier pour évoquer le style et les ambiances des années ’50. J’ai une vraie passion pour
ces années là, surtout pour les danses de cette époque, le swing et le rock & roll. Je prends
même des cours de danse, depuis des années. J’aime beaucoup tout ce qui y est associé, dans
la mode, dans le mobilier, dans l’architecture. Les textures que j’insère entre mes dessins
m’aident à recréer ce style.
Comment réalises-tu l’insertion technique de ces textures dans tes illustrations ?
Je travaille beaucoup avec l’ordinateur. Je vais chercher des images sur internet, des
photogrammes de vieux films, des accessoires, des décors. Ensuite je redessine les détails qui
m’intéressent à la main, car les images tirées de vidéos ont tendance à perdre de netteté et de
précision quand on les agrandit pour les insérer dans des illustrations.
album 2014 décerné par les librairies Sorcières et les bibliothécaires
publication. Me voir primée dès cette 1ère
album 2014, ...
œuvre signifie vraiment beaucoup
Dans tes dessins, j’ai été frappée également par la compositions de l’image et par
l’originalité des points de vue où tu places le lecteur : vues en plongée, travail sur les
variations d’ échelle, regard qui se place à hauteur des gratte-ciels new-yorkais ...
C’est quelques chose que j’ai hérité de ma formation à l’école du fumetto, parce qu’on
nous faisait travailler énormément sur les cadrages, pour éviter d’ennuyer le lecteur et le
surprendre sans cesse. J’ai appris à considérer les scènes d’une histoire à partir de différents
points de vue, pour jouer avec le mouvement. En réalité, il s’agit de quelque chose que j’ai eu
du mal à assimiler et à appliquer avec naturel, car ma préoccupation première est plutôt de
construire une image claire, simple, propre. Du coup, au début, je n’arrivais pas à concevoir
de cadrages hors normes, étonnants. Maintenant cela m’amuse. J’aime, dans une histoire,
donner du mouvement au récit., surprendre le lecteur, le divertir.
Pour revenir à Louise de New-York, Jean Poderos a écrit l’histoire en pensant expressément
à ton travail d’illustratrice ...
Oui, en effet. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois au Salon du livre de
Montreuil. Auparavant j’avais envoyé mon book à toutes les maisons d’édition présentes sur
le salon – chose que je pratique depuis des années avec les différents éditeurs italiens, mais
sans avoir jamais obtenu de réponse. Jean Poderos m’a fixé un rendez-vous et il m’a tout de
suite dit qu’il aimait beaucoup mes dessins mais qu’il n’avait pas de texte à illustrer sous la
main et qu’il m’aurait re-contactée. J’ai cru que, comme il arrive trop souvent, je n’aurais plus
jamais de ses nouvelles. Et voilà que, contre toutes mes attentes, il m’a rappelée quelques
temps après en me disant qu’il avait écrit lui-même une histoire. C’est une histoire qui m’a
tout de suite plu parce que je l’ai trouvé « différente ». Je lis beaucoup d’albums jeunesse et le
récit qu’il m’a proposé m’a paru décidemment hors norme, voir bizarre, par sa construction.
Je me suis demandé si c’était inspiré d’un jeu que font les enfants français. De plus Jean
Poderos m’a beaucoup fait rire lorsqu’il me l’a lue car il faisait des voix particulières pour
tous les personnages, il les mettait en scène, comme s’il était un papa en train de lire l’album
pour sa petite fille. C’était vraiment amusant.
C’est une histoire qui joue sur des niveau de lecture différents : on entend la voie d’une
maman qui appelle son enfant, mais on ne le comprend qu’à la fin du récit. Dans le même
temps, l’album est un vrai thriller car, tant qu’on ne comprends pas que les appels adressés à
Louise viennent de sa maman et que Louise est un enfant déguisé en détective, on se demande
qui crie et quel crime se trame...
En effet, j’avais peur qu’on ne comprenne pas bien le personnage. Voilà pourquoi dans la
représentation de Louise déguisée en femme âgée j’ai gardé des éléments de Louise enfant :
les yeux, principalement, même si j’en ai alourdi les contours comme s’ils avaient été
marqués par le temps. J’ai essayé de souligner des similitudes, de manière que les enfants,
arrivés à la fin de l’histoire, puissent feuilleter le livre à l’envers et retrouver des indices sur la
véritable identité enfantine de Louise.
Comment est née pour toi l’idée de tenter ta chance auprès d’un éditeur français et comment
considères-tu la littérature jeunesse en France ?
Depuis que je connais l’univers de l’illustration, j’ai toujours considéré la France comme
un pays mythique du point de vue de l’édition des albums jeunesse. Et je ne crois pas être
la seule dans ce cas même si, personnellement, j’ai une passion toute particulière pour la
France et pour la langue française. J’ai toujours senti que l’illustration en France, ainsi que la
B.D. en Belgique, jouissent d’une considération tout à fait différente qu’en Italie. En France,
l’illustration est appréciée de la même manière que tout autre forme d’art. Devenir illustrateur
implique, de toute manière, exercer un métier de conte de fées. Le faire en France a une
valeur encore plus grande. Pour moi, être publiée en France équivaut à une confirmation,
comme si je me disais : « ce que je fais vaut décidément quelque chose si un éditeur français
accepte de me publier ». Mais il est évident que pour moi aurait également de la valeur d’être
publiée en Italie. Ce n’est pas par chauvinisme, mais il me reste une pointe d’amertume de ne
pas avoir trouvé un éditeur italien disposé à me donner une chance en tant d’années passées
à me former et à travailler comme illustratrice. J’ai envoyé des tas de mails à toutes les
maisons d’éditions, j’ai fréquenté la Fiera de Bologne, chaque année en apprenant d’avantage
à m’endurcir dans mon esprit et dans ma volonté de faire de l’illustration, que quand je
suis arrivée au salon de Montreuil en 2012 je ne pouvais pas croire qu’un éditeur m’aurait
enfin remarquée. Ce qui est inouï c’est que mes premiers contacts en France ont abouti
immédiatement à une publication !
En travaillant avec les éditions Courtes et Longues, il faut dire que tu as rencontré une
maison d’édition avec un caractère bien particulier dans l’univers éditorial français : leurs
publications pour la jeunesse sont souvent des livres d’artistes. Si tu devais penser à une
maison d’édition italienne pour la traduction de ton album, à qui penserais-tu ?
Je ne pourrais pas indiquer un éditeur italien dont le travail correspondrait exactement à celui
de Courtes et Longues, mais il y a une maison d’édition italienne que j’estime beaucoup et
où j’aimerais particulièrement être publiée, qui est Orecchio Acerbo. Sans avoir tout à fait
la même épaisseur artistique que Courtes et Longues, j’apprécie quasiment tout ce qu’elle
publie. Je suis très critique sur les livres illustrés mais ce qui me plaît est régulièrement publié
par Orecchio Acerbo. Leurs livres sont assez diversifiés du point de vue du dessin, toujours
soignés. Il y a des maisons d’édition plus grosses et plus importantes en Italie, mais c’est
celle-ci que je préfère.
Avant la publication de l’album Louise de New York et de sa suite, comment as-tu vécu de
ton métier d’illustratrice ?
Je mène une vie plutôt modeste, mais j’ai eu la chance de me faire une petite place au niveau
de ma ville et de ma région grâce à plusieurs travaux en tant que graphiste, créatrice de
logos, de manifestes pour des évènements divers, d’affiches ou d’animations publicitaires.
Cependant, le mien reste un métier difficile et j’ai souvent été amenée à faire des petits
boulots n’ayant rien à voir avec l’illustration, pour vivre. Maintenant j’espère que l’album
de Louise, sa publication en France, le prix dont j’ai été honorée, m’ouvriront des portes
également en Italie.
Est-ce que tu aimerais concevoir un album dont tu serais également auteur, en plus
qu’illustratrice ?
Cela ne me tente pas pour l’instant. Je ne me sens pas très douée pour l’écriture. Je ne me
trouve pas assez originale, assez poétique, assez soignée ...J’ai déjà fait quelques rares
tentatives, mais je suis tombée dans des platitudes. Même quand j’ai des idées de récit,
je ressens le besoin de m’adresser à quelqu’un d’autre pour les mettre en forme. En fait,
jusqu’à aujourd’hui, mes idées ont plutôt abouti à de brèves animations. Je me préfère comme
metteuse en scène et réalisatrice que comme conteuse, même s’il s’agit toujours de narration.
Quand j’ai une idée à moi, j’aime choisir un mode d’expression qui me permette de tout
contrôler et de m’exprimer au maximum par l’illustration.
1. Parmi les noms cités, sont disponibles en France uniquement deux titres de Jindra Capek
en tant qu’auteur : « Un gâteau cent fois bon » et « Histoire de la lettre que le chat et le chien
écrivirent à leurs amies les petites filles », tous les deux édités par Père Castor, Flammarion.
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